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lundi 24 mai 2010

Le Sahara, entre Alger et Madrid


De l'Espagne nous vient une autre charge contre notre intégrité territoriale. On peut dire “une de plus”, et passer à autre chose, sans trop y prêter attention. C'est du déjà vu, déjà lu, déjà entendu. Cette nouvelle dénégation vaut, tout de même, le détour. Non pas pour sa pertinence et son sérieux, dont elle est complètement dénuée ; mais plutôt pour son côté ridicule dont elle tire une originalité dans le plus parfait registre du grotesque.
D'après l'entête du document, nous serions en présence d'un “rapport du Groupe espagnol d'études stratégiques (GEES)”; avec, en sous-titre “Sahara Occidental: Indépendance, paix et sécurité”. “L'étude” porte la griffe de Carlos Ruiz Miguel, professeur de droit à l'université de Saint Jacques de Compostelle. Les commanditaires et les auteurs de ce texte n'auraient pas mieux choisi que la capitale de la Galice, haut lieu de la mythologie chrétienne où la dépouille de Jacques le Majeur fut miraculeusement déposée, pour commettre un parchemin aux relents de Reconquista qui lorgne sur les rives du Sahara marocain pour faire la jonction avec les Iles Canaries. Car il ne s'agit pas du tout d'une “étude” menée selon les dogmes méthodologiques de la démarche universitaire. Il y a tromperie sur la marchandise.



Dès les premières lignes de ce faux travail académique, la couleur est annoncée. «Le projet impérialiste marocain a causé des conflits avec l'Espagne, avec la Mauritanie et avec l'Algérie». Dans la foulée, l'auteur nous accuse «de revendiquer les eaux de la zone économique des Îles Canaries», comme prélude à «une future revendication territoriale sur l'ensemble de l'archipel». Il nous traite également de fauteurs de guerre, en qualifiant "d'agression" la première tentative de libération de Sidi Ifni, en 1958, alors sous occupation espagnole et finalement récupérée en 1960. Il nous reproche de ne pas avoir ratifié les accords d'Ifrane, de 1972, sur le tracé des frontières algéro-marocaines, suite à "la guerre des sables" pour le même litige, en 1963. Et puis, il nous soupçonne d'avoir «des ambitions sur la Mauritanie». C'est carrément la totale. Pour M. Ruiz Miguel, nous sommes des "impérialistes" invétérés, des "expansionnistes" indécrottables. Il y aurait là de quoi flatter notre ego, sauf que ce listing aux accents de réquisitoire relève de la contre-vérité historique. Tout simplement. Nos relations avec le gouvernement autonome des Îles Canaries sont au beau fixe, en atteste une coopération aussi régulière que fructueuse, avec les instances régionales de nos provinces du sud. Idem avec la Mauritanie qui, finalement, n'est pas tombée dans l'escarcelle hégémonique d'Alger. Quant au bornage des frontières du côté de Tindouf et de Bechar, il peut être officialisé du jour au lendemain, pour peu que l'Algérie lève la séquestration de nos compatriotes sahraouis dans les camps de Lahmada et abandonne ses propres visées, par lobbies espagnols interposés, sur le Sahara marocain. Encore que ce tracé des frontières, comme chacun sait, a été fait par des cartographes militaires français en faveur d'une Algérie-département français sur cent trente-deux ans et au détriment d'un Protectorat marocain à durée déterminée. Encore que, faut-il le rappeler, l'Algérie a des problèmes de frontières et de voisinage avec la Tunisie, la Libye, le Mali, le Niger et la Mauritanie. Apparemment, cette vérité historique, toujours d'actualité, n'est pas dans le contrat de l'éminent universitaire de St Jacques de Compostelle.




Nous n'en sommes qu'au début, le meilleur est à l'avenant. Dans sa divagation à contre-emploi, M. Ruiz Miguel pointe du doigt le Maroc, «qui a donné un appui logistique aux mouvements islamistes algériens». L'auteur, du haut de sa chaire universitaire squattée pour l'occasion, prétend démentir les propos du général Nezar, l'homme fort de l'Algérie de l'après Houari Boumediane jusqu'à il y a quelques années, qui a reconnu l'absence de toute implication marocaine dans le drame algéro-algérien. C'est plutôt le contraire qui a été révélé par les investigations sur l'attentat terroriste contre l'hôtel Atlas Asni, à Marrakech, en 1994; sur la découverte de caches d'armes à Aknoul, dans le nord-est marocain, la même année; et même dans l'attaque à l'explosif contre le métro parisien, en 1995. La filière terroriste algérienne en direction du Maroc était établie. Elle transitait par la France. Elle était commanditée par les services algériens, tout comme le rapport de M. Ruiz Miguel.
Ce dernier n'en démord pas. Pour lui, nous sommes d'affreux belliqueux. Et nous nous armons jusqu'aux dents pour mieux agresser nos voisins. «La guerre, dit-on, c'est la continuation de la politique par d'autres moyens». Encore faut-il les avoir, ces moyens. Nous ne les avons pas, malgré un modeste approvisionnement à titre d'un peu de mise à niveau et de beaucoup de maintenance. La priorité affichée par le Maroc est ailleurs. Elle est dans la lutte contre l'analphabétisme, la maladie, le chômage, l'exclusion; et l'intégrisme terroriste, entre autres aspects intolérables du sous-développement. Par contre, l'Algérie, avec sa fabuleuse manne pétrolière, a les moyens de ses ambitions de super-puissance régionale. Elle se surarme à coups de milliards de dollars, particulièrement auprès de l'Afrique du Sud, en contrepartie de la reconnaissance de la RASD par celle-ci. Et puis, l'intention agressive que M. Ruiz Miguel prête au Maroc n'y est pas. Pour preuve et comme gage de volonté pacifique de voisinage, le cinquantenaire de la création des FAR (Forces armées royales) c'est récemment déroulé sans exposition ostentatoire de matériel de guerre. Quant au service militaire obligatoire, il a été abandonné, comme partout en Europe. Même cela, M. Ruiz Miguel nous l'a curieusement reproché.
Et le Sahara, dans tout ça? Eh bien, le Sahara est dans tout ça. Il est tout bonnement le point d'orgue de la commande reçue par le professeur Ruiz Miguel dans son développement abracadabrant. Le Sahara marocain, il ne le veut qu'extirpé à la territorialité marocaine, en tant que nouvelle wilaya algérienne -un peu comme le Koweït par rapport à Saddam Hussein en 1990- avec la connivence affichée de Madrid. Pour étayer cette thèse qui, encore une fois, n'a rien d'universitaire, M. Ruiz Miguel mobilise les allégations déjà évoquées, en plus d'un argumentaire encore plus édifiant. «L'indépendance du Sahara occidental, écrit-il, est la seule solution pour obtenir la stabilité de l'Afrique du Nord, en affirmant de manière indiscutable l'intangibilité des frontières héritées du colonialisme». Rien que ce paragraphe aux allures professorales mériterait une anti-soutenance doctorale. Le professeur Ruiz Miguel s'enorgueillit du "colonialisme" alors que, par les temps actuels, les anciennes puissances coloniales sont plutôt enclines à s'en excuser. L'Algérie est la première à le demander à la France. Il est peut-être temps que le Maroc en fasse de même à l'adresse de la France et, surtout, de l'Espagne. L'utilisation d'armes chimiques par l'armée espagnole, aux séquelles toujours visibles chez les générations actuelles, n'a-t-elle pas été prouvée par des chercheurs autrement plus sérieux que M. Ruiz Miguel, sur la guerre du Rif conduite par Mohamed Ben Abdelkrim Khattabi entre 1921 et 1925!
On ne va pas refaire les délibérations de la Cour de Justice de La Haye, en 1975-76, qui a reconnu les liens historiques, exprimés sous forme d'allégeance, entre les populations sahraouies et la monarchie. Mais juste une question: y avait-il un État constitué avant la colonisation espagnole de ces provinces sahariennes? La réponse est évidemment négative. Poursuivons; pourquoi alors veut-on en créer un, maintenant? L'argument avancé par M. Ruiz Miguel, qui a tout l'air d'être inclus dans le cahier de charges, est proprement déstabilisant. C'est pour «obtenir la stabilité de l'Afrique du Nord», clame-t-il sans sourciller. La solution d'indépendance que M. Ruiz Miguel conseille «d'imposer par la force», serait ainsi, tout comme le miracle de St Jean de Compostelle, un gage de "stabilité" et non le détonateur qui ferait exploser ce foyer de tension. Ahurissant. Monsieur le professeur, dans sa scientificité infinie et le carnet de commande aidant, joue avec le feu, autant qu'avec la dangerosité des mots. Mieux, il estime que l'édification, après appel d'offre algéro-espagnol, d'un État sahraoui sonnerait «la fin de l'islamisation» de cette même société sahraouie. De l'anthropologie culturelle à la petite semaine, comme si nos coreligionnaires du Sahara marocain, dignes héritiers de Maâ Al Aïnine, de Moribihi Raboho et d'EL Hiba, chefs religieux de la résistance anti-coloniale, n'étaient que des hordes tribales païennes et primitives. Le professeur Ruiz Miguel devrait, en principe, savoir que les us et coutumes des sahraouis n'ont d'égal que la beauté des rimes merveilleusement restituées par la poésie hassanie.
Á défaut de s'imposer la rigueur de la recherche universitaire, M. Ruiz Miguel a plutôt une plume à tête chercheuse. Il va encore plus loin. Alors, accompagnons-le. La RASD, une fois installée au Sahara marocain par on ne sait quelle force transcendantale, sera, d'après lui, «un allié fiable au Maghreb, pour l'Occident». Bonté divine! Peut-on, à ce point, tordre le cou à une réalité criante d'une toute autre vérité! Hormis son gaz surnaturel, l'Algérie est-elle, elle-même, un allié naturellement fiable, de qui que ce soit, avec ses seize années de guerre civile et ses 150.000 morts?
Après ces professions d'algérianité assumées, on oublie un peu que le professeur Ruiz Miguel est espagnol. Il le rappelle, lui-même; et il le signe: «L'indépendance du Sahara aura pour conséquence, avoue-t-il, l'abandon par le Maroc de ses revendications sur Sebta et Melilia». C'est l'autre facette, la vraie, de "l'intangibilité des frontières chère à M. Ruiz Miguel qui semble ainsi se mettre à table. Au nom de ce principe d'essence et de relance coloniale, il veut que l'Europe commence chez nous; à la pointe nord du continent africain, et par la grâce d'une autre occupation espagnole; qui perdure, celle là. Subitement, l'extrême nord et l'extrême sud du Maroc se rejoignent, par le lien du colonialisme espagnol, toujours présent dans la tête de M. Ruiz Miguel. Sebta, Melilia, d'une part; le Sahara marocain, d'autre part, ne sont plus qu'à un trait de plume du professeur de Galice.
Mais c'est plutôt bien ainsi; les cartes sont abattues. Le projet d'État croupion au Sahara marocain a, désormais, deux parrains, algérien et espagnol. On le soupçonnait déjà. Il vient d'être annoncé sous forme de prophétie professorale. Á bon entendeur…

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